Dans un arrêt rendu le 19 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a bouleversé le monde des professions libérales. En effet, elle a jugé que les bénéfices d’une SEL constituent le produit de l’activité professionnelle du professionnel libéral indépendant exerçant son activité dans celle-ci. De ce fait, ces bénéfices entrent dans l’assiette des cotisations sociales dont est redevable le professionnel, même si ceux-ci sont distribués à une SPFPL, détenant le capital social de la SEL. Cette décision remet en cause l’économie des structures des professions libérales. Faisons le point.

Pourquoi créer une SPFPL pour détenir ses parts ?

En tant que notaire, il peut être avantageux pour vous de créer une société de participations financières de professions libérales (SPFPL). Celle-ci a été créée pour faciliter l’exercice en groupe des professions libérales. Elle n’est pas une société d’exercice, mais une société de contrôle permettant de détenir plusieurs sociétés d’exercice.

Elle donne la possibilité aux professionnels libéraux de concentrer leurs activités tout en bénéficiant d’un effet de levier pour financer l’acquisition de participations au sein de sociétés d’exercice libéral (SEL). 

La SPFPL permet aussi à ces sociétés d’ouvrir leur capital pour attirer des investisseurs

De plus, les SPFPL peuvent facturer des prestations à leurs sociétés afin de générer des revenus complémentaires où viennent s’imputer sur les intérêts d’emprunt et prendre des participations dans des SEL étrangères. 

Toutefois, la plupart du temps, la SPFPL voit le jour pour sa fiscalité puisqu’elle permet d’opter pour deux régimes avantageux :

  • le régime mère-fille : la perception des dividendes par la SPFPL se fait alors en quasi franchise d’imposition ;
  • l’intégration fiscale : les résultats réalisés par les SEL sont concentrés au sein de la SPFPL. Ils viennent se compenser et ne donnent lieu qu’à une seule imposition au niveau de la SPFPL.

Enfin, créer une SPFPL donne la chance de pouvoir transmettre sa SEL à un enfant en profitant du régime du pacte Dutreil-transmission pour une transmission en quasi franchise de droits de mutation

Toutefois, malgré les nombreux avantages de la SPFPL, son équilibre économique est remis en question avec la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation. 

Quels sont les faits ayant entraîné cette jurisprudence ?

Lors d’un appel à cotisations supplémentaires, un chirurgien-dentiste a vu le montant des dividendes versés par sa SELARL à sa SPFPL intégrer l’assiette de ses cotisations d’assurance vieillesse par la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (CARCDSF). Il exerçait son activité professionnelle à travers la SELARL et il détenait la totalité du capital, à parts égales avec son épouse, de la SPFPL. Quant à la SPFPL, elle détenait 99 % de la SELARL et le pourcentage restant appartenait au chirurgien-dentiste. 

De ce fait, le chirurgien-dentiste a saisi la justice. Toutefois, les juges du fonds ont suivi le raisonnement de la CARCDSF. Ils ont retenu que les dividendes revêtaient bien la nature de revenus d’activités non salariés au sens de l’article L131-6 du Code de la sécurité sociale. Ils devaient donc entrer dans l’assiette des cotisations sociales. 

L’article L131-6 du Code de la sécurité sociale renvoie à l’article 108 du Code général des impôts. Celui-ci vise notamment les revenus distribués par les personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés. Les juges en ont déduit que le chirurgien-dentiste était le seul associé professionnel en exercice au sein de la SELARL. De ce fait, il était le seul à générer des revenus constituant les dividendes distribués à la SPFPL et les dividendes correspondaient bien à la rémunération de son travail et non, à des revenus d’un patrimoine.

Les juges ont mentionné également qu’il importait peu que la SPFPL soit dotée d’une personnalité morale distincte et soit soumise à l’IS, et non à l’impôt sur le revenu.

Le chirurgien-dentiste a donc formé un pourvoi en cassation

Quelle a été la solution de la Cour de cassation ?

L’analyse des juges du fonds a été validée par la Cour de cassation. De ce fait, les dividendes revêtent dorénavant la nature de revenus d’activités non salariés et doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales

Pour cela, elle retient que les bénéfices de la SELARL, au sein de laquelle le professionnel libéral exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle, même si ces bénéfices sont distribués à la SPFPL détenant la SELARL.

La Cour de cassation s’appuie en particulier sur le fait que le professionnel est le seul associé professionnel de la SELARL et que les bénéfices réalisés proviennent seulement de son activité. Par ailleurs, il est le seul, avec son épouse, à détenir les parts de la SPFPL.

Quelle interprétation avoir de cette jurisprudence ? 

En tant que notaire, si vous êtes dans une situation similaire, il vous faut prendre en compte cette nouvelle jurisprudence pour éviter un redressement de l’assiette de vos cotisations sociales.

Toutefois, l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) demande un correctif au Gouvernement. Pour elle, cette jurisprudence ne doit pas s’appliquer car elle soumet les professionnels libéraux à cotisations sur les revenus qu’ils tirent de la SEL et sur les dividendes distribués à la SPFPL. Cela viderait de sens la création d’une SPFPL et mettrait en danger toutes celles qui existent.

Les suites de cette jurisprudence devront être suivies car elle pose de nombreuses questions :

  • les bénéfices seront-ils soumis à cotisations sociales avant même leur distribution ?
  • cette solution s’appliquera-t-elle aux SPFPL détenues par plusieurs associés exerçant dans différentes SEL ?
  • comment éviter la double soumission du même flux à des cotisations et prélèvements ?
  • quel sera l’impact de cette jurisprudence sur les ventes d’holdings ?

Quelle est la fiscalité de la vente des parts détenues par une SPFPL ?

Lorsque les parts de votre étude notariale sont détenues par une SPFPL et que vous souhaitez vendre les parts de votre office notarial, il est recommandé de recourir au dispositif de l’apport-cession pour obtenir le report d’imposition des plus-values. 

En effet, lorsque vous avez apporté au préalable vos parts dans une holding, comme une SPFPL que vous contrôlez, vous pouvez bénéficier du report d’imposition des plus-values

La plus-value sera tout de même calculée et déclarée lors de sa réalisation, mais son imposition sera reportée lors d’un des évènements suivants : 

  • cession des titres reçus en rémunération ;
  • cession des titres apportés moins de trois ans après l’apport, sauf en cas de réinvestissement d’au moins 60 % du produit de la vente dans une activité économique dans un délai de deux ans à compter de la vente ;
  • transfert de votre domicile fiscal hors de France. 

La plus-value pourra aussi être exonérée définitivement. En effet, si vous avez apporté vos titres d’étude notariale à la SPFPL au moins trois ans avant la vente, la cession des titres par la SPFPL ne remettra pas en cause le report d’imposition.

Par ailleurs, si les titres de votre étude apportés à la SPFPL font l’objet d’une plus-value lors de la vente des titres par la SPFPL, celle-ci pourra obtenir une exonération de la plus-value de cession en appliquant la régime des titres de participation, sous réserve de l’imposition d’une quote-part de 12 % pour frais et charges. 

Pour bénéficier du régime des titres de participation, deux conditions doivent être remplies : 

  • détention d’au moins 5 % des titres de la société apportée (l’étude notariale) ;
  • détention des titres de la société apportée pendant au moins deux ans.

Bon à savoir

Sans le recours à une SPFPL et au dispositif de l’apport-cession, lorsque vous vendrez votre étude notariale, la plus-value sera soumise au PFU de 30 %.

Toutefois, la plus-value en report redevient imposable en cas de vente de la SPFPL.

Est-il intéressant de diminuer le prix de cession en se versant des dividendes ?

Pour rappel, les dividendes sont soumis soit :

  • au prélèvement forfaitaire unique (PFU) ou « flat tax » de 30 % (12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux) ;
  • au barème progressif de l’impôt sur le revenu après un abattement de 40 % sur le montant des dividendes bruts, la déduction de la CSG à hauteur de 6,8 % et la soustraction des dépenses effectuées pour l’acquisition et la conservation des dividendes.

Bon à savoir

Une partie des dividendes perçus par des dirigeants qui relèvent du régime social des indépendants est soumise aux cotisations sociales. Par ailleurs, les dividendes de la SEL pourraient être soumis à charges sociales avec cette nouvelle jurisprudence.

Ainsi, selon votre situation, il peut être plus intéressant de se verser des dividendes quitte à diminuer la valeur des parts ou à l’inverse, de profiter du dispositif de l’apport-cession pour obtenir un report d’imposition de la plus-value de cession. 

En conclusion, la Cour de cassation a décidé que les bénéfices d’une SEL constituent dorénavant le produit de l’activité professionnelle du professionnel libéral indépendant exerçant son activité dans la SEL. De ce fait, les bénéfices entrent dans l’assiette des cotisations sociales dont est redevable le professionnel, même si ceux-ci sont distribués à la SPFPL. L’évolution de cette jurisprudence est à suivre pour savoir si son interprétation sera étendue. 

Lorsque vous souhaitez transmettre votre étude notariale, détenue ou non par une SPFPL, sa cession doit être appréhendée en amont. Le cabinet Malatiré vous apporte son appui afin de connaitre la valeur précise de votre étude notariale et, grâce à son réseau de partenaire, de trouver le meilleur montage pour le cédant et pour le cessionnaire.